Téhéran sans voile
12 juin 2025
C’est ce peuple qu’on tue 😡
J’avais à peine fini d’écrire ces quelques lignes sur mon récent voyage en Iran que les bombardements israëliens ont commencé.
Quelle honte, quelle colère, quelle tristesse 💔

C’est avec une boule au ventre que je m’embarque dans l’avion Turkish Airlines à destination de Téhéran via Istanbul.
« Ce n’est pas le moment d’y aller », « Attends un peu » « Les Israéliens vont bombarder », j’ai tout entendu, j’ai trop attendu-cinq ans et demi- j’ai trop lu et écouté toute la presse internationale et les médias persanophones de l’étranger…STOP ça suffit, il faut que j’y aille et constate moi-même ce qui s’y passe réellement.
Il faut dire que l’on y parle d’Iran comme de la Corée du nord : persécutions, répression, famine, militarisme, bellisiste…
J’ai vite balayé ces clichés de mes pensées, et j’ai plongé dans la vie quotidienne des Iraniens, surtout des femmes (c’est pourquoi j’ai tout décliné au féminin dans mon texte).
Des femmes iraniennes de milieux différents, d’intérêts divers, au gré de mes pérégrinations. Je pense que ce voyage, ce son de cloche un peu différent de ce qu’on lit habituellement vous donnera envie d’y aller comme moi.
A l’arrivée à l’aéroport, après le contrôle rapide des passeports, j’ai eu la chance de très vite récupérer mes bagages. Les atterrissages sont toujours vers 2h du matin, ce qui a l’avantage de vous épargner le trafic automobile insupportable de la ville. Vous traversez l’autoroute de 60 km reliant l’aéroport « Imam Khomeyni » pendant que la ville dort encore.
L’air est légèrement frais et pas pollué, un phénomène assez rare dans cette ville de Téhéran qui suffoque en grande partie à cause de la mauvaise qualité de l’essence, et l’électrification balbutiante des voitures. On me fera remarquer que l’an passé à la même époque, beaucoup de personnes ont dû être hospitalisées à cause des problèmes respiratoires dus à la pollution et pas seulement à Téhéran mais dans beaucoup d’autres villes.
Le matin j’aperçois les montagnes tout autour de la ville, un paysage que je n’avais plus vu depuis des décennies. Le vent et l’arrêt de l’utilisation du mazout (en remplacement de la pénurie d’essence) et quelques pluies printanières y sont pour quelque chose, sans oublier ma chance et mon bon esprit positif pour affronter ce voyage qu’on m’avait proscrit depuis si longtemps.
Ce vent balaie la pollution et fait tomber les mûres blanches qui vont tapisser les trottoirs et chaussées de la ville, il faut vraiment faire attention où l’on met les pieds ! Ce vent fait aussi tomber mon foulard que je ne remettrai plus de tout mon voyage.
Téhéran, défoulardé, défoulardisé, il faut que je trouve la bonne expression est une autre ville. Les femmes de tout âge se promènent dans les quartiers, riches, pauvres, populaires, chics…cheveux au vent. Je n’en reviens pas, de temps en temps en passant devant une vitrine je dois me pincer pour être sûre que je ne rêve pas ! Incroyable pour les femmes en Iran qui ont vécu sous le traumatisme de ces quelques cm2 de tissus. Dans nos cauchemars à cause d’un voile mal porté nous étions emmenées par la police des mœurs et de la guidance islamique pour être condamnées à des coups de fouet… C’est exactement ce qui s’est passé avec Jina Amini en 2022 et aussi beaucoup d’autres femmes, avant, mais dont les cas n’ont pas été médiatisés.
Et sans doute sans le mouvement « Femme, vie, liberté » on n’aurait pas dépassé cette ligne rouge qui a traversé trois générations de femmes en Iran. Ce mouvement a aussi changé les comportements, les autorités sommaient les femmes de respecter le voile pour leur bien, car sinon les hommes allaient les violer et abuser d’elles ! Or il est heureux de constater que ces hommes, supposés être des prédateurs en puissance, se comportent d’une façon respectueuse, sans regard jouisseur et luxurieux. En tous cas bien plus normalement, et chastement qu’à l’époque du shah, où on se faisait pincer les fesses dans les rues !
Dans l’Histoire, la République islamique laissera des traces, des séquelles, des blessures avec des concepts nouveaux : L’islam politique, l’axe de la résistance, le traumatisme du foulard…..
Le centre- ville est investi par les jeunes qui ont ouvert des bureaux d’architecte, des studios, des studios d’enregistrement, des galeries d’art, des cafés, restaurants, boutiques…Un phénomène tout à fait inexistant par le passé a fait son apparition et égaie encore plus la ville. Des terrasses devant chaque café ou restaurant on a dressé quelques tables et chaises et des hommes et femmes s’y agglutinent eu buvant (toujours pas d’alcool officiellement), fumant, bavardant. Dans ces mêmes quartiers, il y a une multitude de salle de théâtre ouvertes ces dernières années où on y joue des pièces avec ou sans autorisation. Selon un ami du milieu du théâtre, tous les soirs à Téhéran, une centaine de pièces différentes sont jouées et toujours à guichet fermé.
On connait relativement bien le cinéma iranien à l’étranger, mais attendez le théâtre iranien va aussi débarquer car ils ont des choses à raconter et des façons bien à eux de les mettre en scène-réminiscence de tant d’années de censure et d’interdit !
Ouf, enfin ces gens vivent une vie normale. N’était-ce pas leur mot d’ordre pendant ces événements de 2022 quand les étudiants occupaient les universités ?
Vous pensez qu’il y a eu un renversement du régime et qu’on n’est plus en République Islamique ! Mais non et pourtant çà y ressemble un peu. Sauf que les exécutions continuent, les arrestations aussi…
Ce qui se passe c’est le formidable renforcement de la société civile, cette avancée qui oblige le pouvoir à céder et reculer devant les exigences du peuple. Le pouvoir est dans une mauvaise posture, les sanctions plus sévères, disons plus surveillées, la perte de leurs alliés dans la région, les attaques israéliennes l’ont affaibli, il est acculé à lever le pied sur tout le pan sociétal. Car économiquement il n’a pas de solution face à une situation désastreuse et intenable. Il n’y a pas un jour sans manifestation des retraités, des enseignants, du corps médical, maintenant bien plus sérieusement les camionneurs.
J’ai revu beaucoup d’amies, de personnes avec qui j’avais eu l’occasion de collaborer toutes ces années, et les discussions sont passionnantes, chacune selon sagénération raconte son souvenir douloureux de la révolution. Le constat général est l’évolution indéniable des femmes de la société. J’interroge sur les voix dissidentes de l’intérieur qui critiquent ouvertement le régime et même le guide sans vraiment être inquiétées. Alors que d’autres sont arrêtées pour des pétitions ? Une soupape de sécurité, ou des personnes trop connues à l’international ? On m’explique que des initiatives privées sont tolérées mais surtout pas ameuter et organiser des manifestations.
Je remarque aussi un respect total à la fois pour les jeunes tué.e.s lors du mouvement Femme Vie Liberté et pour ceux tombés en martyr pendant les 8 ans de guerre contre l’Irak.
Je sens une volonté d’avancer en groupe et estomper les différences de vue. Les gens sont plus gentils et attentionnés les uns envers les autres. Une amie me dit : « nous sommes tellement réprimé.e.s et sous pression par le pouvoir que les gens font la résistance en s’aidant mutuellement et créant une solidarité’.
La génération qui a fait la révolution en 1979 ne veut pas d’un renversement du régime ou pire une intervention étrangère, mais de véritables réformes.
Tandis que les jeunes sont plus radicaux et disent que ce régime est incorrigible il faut chambouler tout.
Mais toutes les polarisations se taisent quand on attaque le nom du golfe persique qu’on veut rebaptiser sur demande des émirats du sud en golfe arabique- No pasaran !
Les voyages à l’étranger sont devenus impayables et les visas quasi impossibles. Le tourisme est donc devenu local. Une floraison de villages retapés, de petits hôtels ou des B&B chez l’habitant ont vu le jour dans tous les coins de ce vaste territoire qu’est l’Iran.
La société de consommation me frappe, les magasins sont remplis comme les restos, cafés, avions, trains, bus …Bon sang à ces prix comment font-ils ? Une explication avancée qui me convint, c’est qu’avec la hausse des prix de l’immobilier, rares sont les gens qui peuvent espérer devenir un jour propriétaires. Dès lors en désespoir de cause, on achète le présent sans penser à l’avenir. On dépense tout ce qu’on a, de toute façon on ne sait pas de quoi sera fait demain ! Même les possédants ont vu leur fortune fondre au soleil après les multiples dégringolades de la monnaie nationale. Le mot épargne a quitté le vocabulaire des Iranien.ne.s.
Un peu épicuriens, un peu désespérés, ils sont tous suspendus à ce foutu accord nucléaire qui est devenu le baromètre de l’économie nationale. Lorsque je demandais à quelques ami.e.s si l’accord est signé, et que par magie les portes du monde s’ouvraient à vous, qu’allez-vous faire en premier ? « Aller à Paris visiter l’expo de David Hockney » ! J’ai eu le coeur serré moi qui avais vu son expo à Bozar à Bruxelles l’an dernier et qui n’avait même pas été enchantée ! Vous voyez ils et elles ne demandent pas grand-chose.
Pendant ces cinq années et demie d’absence le pays a fait d’énormes progrès numériques. Sans téléphone intelligent vous disparaissez du paysage de l’administration iranienne. Tout se fait par inscription sur des plateformes, avec des codes… Une façon formidable de gérer le pays avec une surveillance totale et douce !
Sans oublier les caméras de surveillance qui prennent en photo les conductrices qui recevront des notifications pour « voile mal porté » ! Aux notifications suivront les rappels à l’ordre et ensuite l’immobilisation du véhicule. C’est donc le seul endroit où on remonte le foulard et encore, ils ne peuvent pas verbaliser la moitié de la ville !
Les jeunes réapprennent leur Histoire et s’y intéressent, beaucoup de podcast, de séries télévisées sur les personnages historiques jusque- là délaissés. Elles veulent savoir comment on vivait à l’époque du Shah, est-ce que c’était si paradisiaque ! Je dois dire qu’avec moi elles devaient vite déchanter.
Car l’opposition à l’étranger leur fait miroiter une époque magnifique que ces imbéciles de révolutionnaires de 79 ont fait basculer !
Mais non, ce n’était pas paradisiaque, ils et elles demandent mais pourquoi nous avons fait la révolution. Est-ce que c’était notre volonté ou un coup monté par l’étranger ?
Le Shah, la RI… peu importe, les régimes viennent et s’en vont ce qui reste c’est ce peuple qui a affronté les Mongols, les Arabes et continue à cultiver sa culture millénaire dans l’union et la solidarité.
Ce peuple résilient prêt à rebondir a payé cher ses acquis d’aujourd’hui, j’en suis témoin et je leur rends hommage. Je pense qu’il est juste de dire qu’il est apprécié et admiré à travers le monde et une certaine sympathie se dégage dès qu’on apprend que vous êtes Iranienne !
Fery Malek-Madani
Art Cantara asbl
Bruxelles 12 juin 2025